28 octobre 2017
Espace Culturel la Hague

+++ On sait l’attraction qu’exerce la couleur pourpre auprès des musiciens. De Jimi Hendrix  (Purple Haze) à Prince (Purple Rain), le pourpre rend compte d’un état d’âme particulier auquel correspond une humeur musicale, quelque part entre la mélancolie du blues et l’euphorie du rock. Aujourd’hui Féfé ajoute sa nuance personnelle à cet arc en ciel intérieur avec un troisième album intitulé Mauve où il visite l’intégralité d’une palette sonore qu’il n’a cessé d’enrichir depuis l’époque où il œuvrait au sein du collectif rap Saïan Super Crew. A son éventail déjà chatoyant d’influences soul, rock, caraïbe et chanson française, il ajoute une touche africaine essentielle, résultat d’un indispensable retour aux sources…

Il y a trois ans, dans une chanson intitulée DouxPays, Féfé nous donnait rendez vous au Nigéria, terre de ses ancêtres Yoroubas. Cette chanson, la dernière de son second album Le Charme des Premiers Jours, évoquait avec tendresse ce pays qu’il rêvait d’explorer. Celui ci ne s’était pourtant pas montré particulièrement doux envers ses parents qui avaient du le quitter avant sa naissance en 1976 pour venir trouver en France de meilleures conditions de vie. Jusqu’à l’adolescence, Samuel Adebiyi- Féfé pour les intimes- a grandi dans sa cité de Noisy le Sec en banlieue parisienne avec une idée plutôt troublée du berceau familial. D’un côté il y avait un Nigéria synonyme de punition, où ses parents menaçaient de l’expédier quand il avait fait une bêtise. De l’autre, il y avait un Nigéria fantasmé, auquel répondait un puissant appel du sang, notamment lorsqu’il écoutait la musique de Fela Kuti que lui fit découvrir son père. Alors qu’il a 13 ans, Féfé met à profit un premier séjour dont il revient avec une vision d’ensemble du pays plus riche, et surtout plus juste. Lorsqu’il y retourne en 2013, soit 24 ans plus tard, c’est dans le but d’approfondir sa connaissance du monde des Yoroubas, quête qui le mènera jusqu’à Cuba et au Brésil deux des principaux foyers de la diaspora. C’est d’ailleurs au Brésil que lui viendra l’idée du titre Mauve, cette couleur existentielle qui selon lui réalise la parfaite synthèse « entre le rose de la vie et les bleus de l’âme. »

De ce périple, il voulait ramener la quintessence du rythme yorouba. En vain. Car si pareille notion existe, elle fait l’objet d’une réinvention permanente qui la rend sinon insaisissable du moins impossible à figer. D’où cette conclusion qu’il s’est mis à méditer à la manière d’une pensée zen : « Pourquoi chercher ce que j’ai déjà en moi ? » De ce périple, il aura donc plutôt tiré un certain enrichissement humain et un évident approfondissement artistique. En témoigne ce duo avec Ayo, cette « sœur » de la diaspora nigériane, sur Naija(le petit nom que donnent au Nigéria ses habitants), communion joyeuse, contagieuse célébrant l’attachement qu’ils partagent pour ce pays dont ils sont les enfants éloignés, mais pas perdus. La chanson a fait l’objet d’un clip tourné dans les rues de Lagos et au Shrine où fait une apparition Seun Kuti, fils cadet de Fela Kuti, l’inspirateur de ce club mythique. En fait, ce que Féfé a trouvé de plus précieux au Nigéria, c’est moins une parenté ou un (afro) beat qu’une manière d’être, un regard à l’opposé de celui, souvent passéiste et paternaliste, que portent sur l’Afrique l’occidental moyen. « Là bas, tout le monde est tendu vers le futur. Il n’y a pas de place pour la nostalgie. » Il y a au moins dans Mauve la place pour un petit retour en arrière, celui que Féfé s’octroie sur Aussi fort, revenant sur ses années « de formation », à cette époque à la fois galère et bénie où avec Saïan Super Crew il en était réduit à partager un sandwich grec en 7 et à répéter dans un 9m2. Manière de relativiser les doutes qui viennent parfois l’assaillir aujourd’hui à l’aune de ce qui constituait hier des obstacles autrement insurmontables, mais qu’il abordait pourtant avec un sentiment d’invincibilité. « Depuis les attentats du 13 Novembre, j’ai décidé de saisir chaque instant avec bienveillance et avec le sourire. Je me définis désormais comme un bandit souriant, une racaille positive. »

De cette bonne composition résulte la générosité d’un disque qui ouvre le cœur comme rarement et l’horizon musical comme jamais.Dans On est là c’est aux sources du rap qu’il remonte, à cette gymnastique mentale, ce sens inné de la prosodie virtuose qui a fait de lui l’un des maîtres jongleurs du hip-hop francophone. Alors que dans Avec toi c’est à la chanson, souvent française, qu’il se réfère, concevant une marqueterie de mots à partir de titres, de bouts de texte empruntés à ses maîtres, des Rita Mitsouko (Marcia Baïla) à Jacques Brel (Ne me quitte pas) en passant par Kerry James, Fela, Stevie Wonder ou Gainsbourg. Se dessine ainsi, à mesure que l’on s’enfonce dans ce Mauve pas guimauve pour un sou, le portrait d’un Féfé resplendissant dans son habit d’Arlequin musical dont cet album « africain » sera celui où il rend son hommage le plus définitif à la chanson et à la langue françaises. Autre paradoxe : saisi dans une période où chacun aurait tendance à se morfondre dans son coin, il fait péter l’optimisme comme une bouteille de champagne lors d’une pendaison de crémaillère. Ouvrant les volets en grand, il invite à partager ce chez lui tapissé de rêves et d’utopies, cet Eldorado, lieu imaginaire de partage, de concorde, où il a élu domicile depuis l’époque où il zonait en cité. «  Dans chaque foyer- laotien, portugais, sénégalais- je picorais. Je me suis construit une identité de cette manière, à l’aide d’une mosaïque de sensations et sans pression communautaire. »