General Elektriks : derrière le patronyme qui montre ses médailles, un alchimiste sonore en mode «low profile».
Déjà treize ans que
Hervé Salters chahute les théories de la relativité musicale en même temps qu’il agite les foules. Paradoxal, génialement, ce conteur électrique l’a toujours été.

Expatrié à san Francisco dans les années 2000, puis à Berlin où il a élu domicile il y a trois ans, General Elektriks a fait des itinérances – géographiques comme musicales – une affaire d’explorations. Peu enclin à creuser un même sillon, il aura préféré la voie de la recherche protéiforme, le groove et le Clavinet (clavier des années 70) en guise de boussole et de compas.

To Be A stranger, quatrième étoile à porter à son veston d’amiral, prend ainsi le contre pied de son prédécesseur. Parker street était un jet très direct, explique-t-il, écrit et produit en quatre mois. Pour To Be A stranger, il a préféré prendre plus de recul, revenir petit à petit sur les morceaux, profiter d’une «vraie» gestation.

Comme il ne fait pas une musique formulaïque, il aime se donner le temps d’essayer des choses, de laisser vivre toutes les idées qui lui viennent, puis de revenir dessus plus tard avec une oreille neuve. C’est le temps passé entre l’expérimentation et la ré-écoute qui donne le recul nécessaire pour élaborer quelque chose de cohérent.

Une joute entre la machine et l’humain est à la source même de ce quatrième album. Il explique qu’il avait de nouveau envie de faire bouger les gens là où, sur son précédent album, il s’était posé avec des balades.

Parker street était organique, avec un vrai batteur, quelque chose d’aérien.

Avec ce nouvel album, il a eu de nouveau envie de cliquer sur la souris, de mélanger programmations et performances. Ce processus rapproche To Be A stranger de son 2ème album, Good City For Dreamers (incluant le titre phare « Raid The Radio »), mais il a la sensation qu’ici le résultat est plus minimaliste, plus tranché. Berlin, où j’habite, y est certainement pour beaucoup. L’art y est omniprésent, il y a de la créativité partout. Mais comme ça n’est pas un art commercial, ça renforce l’idée d’une certaine radicalité.» Radical, droit au but, mais aussi hybride et décalé. Au grand jeu de la prise de risques, General Elektriks ajoute la pratique du saute moutons : sur les courants et les époques, entre circonvolutions et immédiateté, présent, futur et passé. “Whisper To Me”, premier single extrait en forme de percutante carte de visite Funk/Pop/Electro, en faisait déjà la démonstration, dès octobre, entre couplets en dents de scie et sex-appeal moite. “J’aime être surpris par la musique, analyse Hervé, d’où ces morceaux à tiroirs que j’écris. Il n’est pas question de faire du vieux avec du vieux : j’utilise des claviers vintage, sur lesquels j’aime poser mes doigts, mais je ne vis pas dans le passé. Ma démarche, c’est d’emmener ces sons très loin de leur point de départ dans des contextes inhabituels, ailleurs.”sur To Be A stranger, cuivres soyeux et beats martiaux s’attirent sur “Magnets”, “A Misunderstanding” joue la carte de l’urgence communicative et montée sur ressorts, tandis que “Built By The People” et son refrain à la Parliament tendent une passerelle entre arrangements épiques et funk retro-futuriste. En fin de parcours, “New Day Breaking” est une subtile imbrication disco-pop où Hervé pose sa voix d’éther, peu avant l’ultime variation proposée par “Waltz #2”, dont la soul poétique semble canaliser Gershwin et les Beatles. Ce nouvel album se nourrit aussi, dans les textes, de la thématique du voyage, de transumances en aliénations. “Mes paroles ont une importance indéniable – ça n’est pas parce que je fais de la musique qui groove que ça doit exclure les textes. Et ça n’est pas non plus un hasard si l’album s’appelle To Be A stranger : cela fait maintenant 15 ans que je suis un étranger.” Réel ou fantasme : To Be A stranger explore aussi la condition de l’être, jusqu’au néant. “The Man Who Unraveled” flirte avec la fable, dans le prolongement d’une anecdote vécue : convoqué par les services d’immigration américains, Hervé se rend compte qu’il lui est quasiment impossible d’y laisser ses empreintes… “Un phénomène apparemment classique pour les musiciens qui jouent des claviers. Les doigts se polissent, au point que les empreintes s’effacent. Je suis parti de là pour raconter l’histoire d’un type dont les lignes de la main disparaissent, et qu’à la fin les gens ne voient plus”. “Migration feathers” et sa sensualité serpentine décrivent l’envol d’oiseaux migrateurs en quête de rives meilleures, une bande-son pour ceux qui choisissent l’exode. Français lié à une scène dans les années 90 (proche de Mathieu Chedid, Vincent Ségal, Femi Kuti…), Hervé salters a parachevé sa construction musicale aux Etats-Unis. De sa première formation hexagonale, Vercoquin, il retiendra la nécessité de “faire exactement ce dont on a envie, sans jamais pratiquer le compromis, commercial ou marketing”. C’est dans cette optique, déjà, qu’il réalisera en 2003 Cliquety Kliqk, premier album sous la bannière General Elektriks – lequel posera les bases de son univers, six ans avant Good City for Dreamers, son successeur. Il collabore à son arrivée aux Etats-Unis avec les membres de Blackalicious et autres cadors du hip hop du collectif Quannum. En 2016, le rap américain constitue toujours pour lui une réelle inspiration, du producteur Jon wayne (“très drôle, très psyché, assez improbable”) à Kendrick Lamar en passant par Chance The Rapper. Ecrit, arrangé et réalisé par Hervé, puis mixé par Mike Cresswell (déjà présent sur Good City For Dreamers et Parker street), To Be A stranger hisse les couleurs d’une electro-soul personnelle et pointue, d’un univers nuancé où il fait bon se perdre. “Je continue à penser en termes d’album, avec une série de chansons qui fonctionnent ensemble, explique en substance son créateur. J’aime l’idée que le tout fasse sens au final, même si au départ l’impulsion est de faire naitre un maximum d’idées”. Jeu de jambes et d’idées, du cortex à la voûte plantaire, de la Terre à la Lune et plus loin encore… Félin et cérébral, To Be A stranger, comme une ordonnance funk dont l’époque a besoin.

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